Je me souviens des fins d’après-midi où, après le collège, je rejoignais la librairie. De l’extérieur, je regardais ma mère arranger la vitrine ou bien s’occuper des clients. J’aimais bien de temps en temps marquer une pause, voir si ma mère allait regarder sa montre, saisir l’instant où elle guetterait mon arrivée. Il me plaisait bien ce sourire qu’elle m’offrait, ce petit hochement de tête me désignant. C’était un air de famille, un air de connivence qui nous rassurait à toutes les deux. Je la trouvais marrante avec ses grandes lunettes dorées et sa manie de tout deux fois vérifier. Je dérobais un peu d’elle, en toute discrétion, digression d’une enfant envers sa mère . J’étudiais maman en étant fière d’être sa fille, ayant la volonté, pourtant de ne pas lui ressembler, parce qu’il fallait l’étonner pour lui plaire. L’aimer tant ma mère, je l’ai aimé autant qu’elle m’a manquée. Dans l’attente de sa présence, dans le désir qu’elle puise le temps de me parler en espace réduit. Ces instants rares dont je me rappelle caressent ma mémoire, la contrariété des entrevues manqués non plus je ne les oublie. Je voyais une certaine satisfaction se dégager d’elle, pour ma mère être épuisé signifiait assumer tous les rôles que se doit d’incarner l’individu féminin pluriel. À force de patienter, de l’avoir attendue de trop, avec cet amer ci-joint, je me suis égarée dans les rêveries, j’ai négocié mon statut d’enfant, composé avec ce rôle celui de fille d’attente. Il me fut impossible de m’empêcher de l’aimer de trop cette femme que j’appelle toujours maman.