Je regarde la table, dessus trois palettes de peinture y sont en vrac déposées, toutes sortes de gouaches sont mélangées, les tons séchés sur le bois des palettes forment un minuscule volume. Sur cette table j’y vois un métissage, en brouillon une tête pas sage.
Sur la chemise en tissu bleu pale, suspendue au chevalet, je distingue plein de petites taches, des grains de couleur, des embryons d’énergie, j’y devine un brin de surmenage.
Différents formats de cartons à dessin font la file tout le long du mur de gauche. Sous la fenêtre ces cartons à dessins sont tels des livres géants remplis d’images.
De l’autre coté de la pièces sur des étagères sont empilés les feuilles format raisin la veille achetées, d’anciens pots de confitures contiennent des encres de chines ou du brou de noix, je ne sais pas. Un mikado de pinceaux est entassé sur sol pas loin, on dirait qu’ils sont tombés, peut-être est ce le chat qui a déclenché ce carambolage.
Le parquet craque sous mes pas, bien que je me déplace lentement. Un vieux fauteuil en cuir marron me fait barrage. Je n’ose traverser la pièce, de peur de le réveiller je sais qu’il dort juste à côté, là tout près. Dans un moment je reviendrais…
Commentaires
Voilà un bien joli poème en prose, dont la discrète rime en -age souligne l'atmosphère particulière, l'intimité d'un espace privilégié, et qui met (presque) tous les sens en éveil : la vue, l'odorat, l'ouïe, jusqu'au toucher suggéré par cette main qui, après avoir sans doute caressé le cuir de ce fauteuil, referme doucement la porte...
J'aime cette incursion dans ce qui est à la fois un lieu ET un moment, celui entre deux créations : inter-lude, entre deux "je".
Pascal ut as vu juste , on vient de travailler sur un atelier d'écriture ayant pour thème les 5 sens d'où ce texte , je voulais des rimes en " âge "
biz Marie
Rime en "âge", dis-tu ? voilà qui renforce mon ressenti : ce texte me parle à la fois d'espace et de temps (c'est le VIEUX fauteuil qui m'a mis sur la piste : j'en ai connu un comme ça), un temps qui semble suspendu ; suspendu à quoi, à qui ? mystère... qui ne sera levé qu'au réveil ou au retour - hypothétique - de l'absent, ou peut-être jamais... domm-âge ;)
Un vieux fauteuil, mais aussi "les feuilles format raisin la veille achetées"
Cet atelier semble un lieu à part, un peu étrange. Il y a un contraste entre l'absence (il n'y a personne qui y travaille pour le moment) et la présence implicite (on sent que c'est un lieu privilégié, où la narratrice aime se retrouver pour exprimer ce qu'elle est, via ses créations).
Derrière le désordre apparent, on sent que ce local a une âme.