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Le prisonnier politique

Ils m’ont annoncé que les visites à la prison seraient dorénavant interdites. Seule la correspondance restera, donc, notre unique lien. Je suis effondrée et n’ose à peine t’avouer cet état d’esprit dans lequel l’annonce de cette bien triste nouvelle m’a plongée.
Cela étant dit, par respect pour toi, j’arrêterais là la description de ma tristesse, notre douleur commune. Un effondrement.
L’aventure épistolaire est la seule chose que la vie a, maintenant, à nous offrir. Je t’aime et je vais te le dire, l’écrire de mille et une manière. Mon temps deviendra aussi le tien, le notre. Une conversation.
Que dirais-tu, de faire le tour d’un monde, du mien ? Un état divisé en deux dont une moitié te sera consacrée, et l’autre pour moi à vivre pour deux. Telle une présence dans mon ventre, tu seras là, comme un insaisissable lien. Schizophrénie annoncée... Etre deux déterminés à ne pas se diviser. Toi, la partie intégrante de mes « trips », notre devenir. 
Te faire participer à ce quotidien de façon assidue subsistera comme l’unique moyen d’être réunis. Toi+ moi sera égal à un ensemble. Et laisser aller ainsi la liberté s’emparer de ton isolement, cette prison.
Tout ce que je vais saisir, observer, obtenir et prendre de l’existence te sera mot à mot rendu. Chaque soir, une lettre, une carte, une évasion. Des phrases pour toi, puis des questions et donc des réponses venant de toi que j’attendrais. Du temps passé à t’écrire, te décrire. Je veux te donner des dizaines de pages à lire, te procurer de la matière pour rebondir. 
De l’intense, je ne laisserais aucune miette s’échapper, et post scritptum de l’espoir cacheté pour toi, cet homme, un monde en deux moitiés …
Libre pensée
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Commentaires

  • L'uomo libero (mais en ce régime totalitaire, lequel était le plus libre ? celui qui vivait dehors en uniforme obligatoire, ou celle qui pouvait encore vivre pour écrire et écrire pour vivre encore ?) répondit :

    "Qui a les faveurs de sa plume
    Est assuré de celles de son coeur

    Ceux partis sans laisser d'adresse
    C'est en peine qu'ils le laissent

    Et si jamais de les revoir il n'a l'heur
    Laissera-t-il un mot, à titre posthume"

  • Jolie note, nous sommes tous prisonniers de quelque chose ! Des conventions, des mots, du temps qui passe trop vite et nous happe, de la folie des hommes, de la monotonie etc...Nous sommes emprisonnés et n'aspirons qu'à une chose, en tous cas pour ma part, bouger et changer les choses. je déteste tout ce qui est statique ! Mais que c'est DUR......

  • jolie ecriture. oui. :)

  • Edwige-Amour,

    Quelle nouvelle m’apprends-tu là ?… Ils ne m’en avaient rien dit !… Ne plus croiser, au parloir, le sourire de tes yeux, quel désespoir ! Ton tout premier courrier, daté de plusieurs jour déjà, ne m’est parvenu que ce matin. Nous somme samedi, jour du Régime. Au menu de mes activités, programmées par le Parti : petit-déjeuner, mixture unique obligatoire ; gymnastique, obligatoire ; office religieux, obligatoire ; leçon civique, obligatoire… obligatoire… obligatoire… obligatoire… ; douche, moment de répit ; puis vient le repas, en cellule - jamais en commun, dès fois que l’un d’entre nous, profitant d’un instant de convivialité, aurait l’idée de parler d’humanité, d’art, de philosophie…
    Après midi, on me concède un peu de liberté : promenade en rond, errance solitaire car je n’ai pas l’heur de la partager avec d’autres détenus – « trop contagieux » ont-ils dit… Alors pour tromper mon ennui, je change de sens ou marche en losange, en carré… La semaine dernière, par dérision, j’ai suivi un tracé imaginaire calqué sur l’emblème cousu sur ma poitrine… Parfois, j’ai droit à un ballon à demi crevé, que je projette de toutes mes forces contre la muraille grise qui, de quelque côté que je me tourne, se dresse face à moi ; j’espère, à chaque coup, un peu plus l’effriter, jusqu’à la percer...
    Quant la lassitude m’envahit, je demande à rentrer dans mon "une-pièce-trois-mètres-carrés", en attendant le repas du soir - en commun celui-là, car c’est l’heure de la grand-messe officielle du journal télévisé -, puis je pars sans attendre le film, seul choix autorisé aux prisonniers, un porno le plus souvent, pour compenser…
    Pour la première fois, aujourd’hui, ces occupations sont agrémentées par un peu d’écriture. Depuis combien de temps mon stylo-plume n’avait-il posé sa pointe sur une feuille ? Ce stylo que tu m’as offert voici trois ans – trois ans déjà ! – lors de notre voyage à Trieste… Toujours dans ma poche, c’est un peu de toi que je porte sur moi. J’espère que la plume n’est pas trop émoussée… J’ai de l’encre à volonté, mais peu de papier, rigoureusement rationné. Voici venir le bord de la feuille, il me faut te quitter. Je te demande pardon de n'avoir parlé que de moi. Ciao Bella !

    Lucas

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