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Un chien mort

Dans une société vieille comme ma petite ville, j’ai commencé par rétablir une vie professionnelle. J’appliquais mon récent et maigre savoir du métier de secrétaire. J’étais tombée dans l’un de ces endroits où le chef de service se flatte d’être de la vieille école. Un lieu exagérément austère. C’était tout simplement moche en plus d’être triste tendance vieillot. Ledit chef de service y prenait la poussière depuis plus vingt cinq ans. Bien qu’il ne lui ressemble pas vraiment physiquement ,j’ai eu l’impression curieuse, à ma première entrée dans son bureau, d’avoir à subir un entretien avec le policier Derrick.
Dans les couloirs, en tendant bien l’oreille, l’on pouvait entendre certaines réflexions, les automatismes de l’héritage de la méfiance envers l’autre. Les différents. J’avais envie à tout moment de traiter mon chef de vieux con réactionnaire, juste pour voir quelle tête il ferait. Tous les lundis matins j’en rêvais. Il incarnait le responsable d’une tribu de postérieurs mous, bien assis, installés dans des fauteuils de cuirs gras, des culs tannés et usés à force de se laver à l’idée de propre. Ça tombait bien pour une entreprise de produits d’entretien. J’étais là avec eux, secrétaire et à l’occasion toute désignée pour leur apporter le café. Mais bon, il me fallait ce travail, cette indépendance. De la liberté …De la dure réalité en tranche de vie active comme moyen de me sortir de l’isolement, de la vie précaire. Au moins travailler en ce lieu me procurait l’impression d’interpréter une gentille fille, pour un peu atteinte du syndrome de Cendrillon. Je me suis retrouvée au beau milieu de gens travaillant ensemble huit heures par jour depuis des siècles. Deux vieilles biques siamoises reliée directement à ce que j’appelle de l’étroitesse d’esprit  –mes collègues- m’ont écartée totalement, et déclarer officiellement une guerre froide après avoir constaté mon indifférence totale sur ce qu’elles pouvaient bien penser. De toute façon, je n’avais rien à leur dire à part de leur parler «  boulot ». Leur vie m’indifférait et ça se voyait. Ben non je n’aimais pas parler, discuter du programme TV de la veille, ni des études d’enfants que je ne connaissais même pas, le tout devant une machine à café…Sans doute aurais-je du moi aussi me débarrasser de mes à priori, je l’admets volontiers.
Intégrer une équipe n’est ni simple ni facile. L’image du groupe prétend former un ensemble d’efforts collectifs, la force de production se convertit en slogan. L’on utilise le « nous gagnons », à l’or qu’en fait le seul vainqueur est le regard acquit, primé par la hiérarchie. L’individualisme. Ça m’ afflige ! Comprendre les caractères de chacun, gérer au quotidien mon réapprentissage à la vie en société et sortir de mon huis clos fut difficile. Une épreuve, je crois bien ... J’ai assimilé un rythme de travail, du nouveau pour moi, tout juste sortie de « ça ». Camoufler mes cernes, assumer mes fautes dites d’inattention. Des erreurs tout de même perçues comme des trahisons à l’entreprise devint mon quotidien, une habitude. Dyslexie, comment assumer ce mot que je n’ose même pas prononcer et encore moins écrire ? Le « y » on le met où déjà ? Je suis la faiblarde du groupe, celle qui paraît comprendre lent.
Toutes les informations neuves dans ce travail se bousculent dans mon esprit, mon langage.

Tous ces endroits communs, où nous sommes mélangés, liés malgré nous. Ce cheptel auquel nous appartenons. Par obligation, par nécessité nous pressons le jus d’une vie active et remuante.  Remous des qualités, des défauts, des paroles jetées en l’air ou en pleine face, bouffées de chaleurs des uns, odeurs des autres. Langues baveuses d’ovidés, eau vidée et saline. Toutes ces exacerbations s’allongeant du lundi au vendredi.  J’ai du mal à surmonter les morsures d’un nouveau quotidien.  Et ces autres que je n’aime pas et que je ne déteste pas, ces autres sans importance vraiment, et pourtant ces autres imposés, à côté, trop près. Des comme elles. Impossible de les ignorer. Ces autres dont on n’a même pas envie d’injurier.Ces autres que j’entends parler trop fort et que je n’écoute pas, ces autres m’éloignent de mes proches. Il y a WELCOME inscrit sur le paillasson de la maison : N’entrez pas merci. J’ai un peu de rancœur parfois c’est vrai, il serait si facile, sur un geste fou, de partir sans même claquer la porte, partir tout simplement …. Partir sans coup de gueule, partir sur un point barre. Mais partir pour aller où? Partir, comme dans les films, les chansons et les romans ? Seulement voilà, il n’y aura aucun générique qui se déroulera après moi. Juste des individus m' observant faire tout un cinéma.Cette démarche dont je n’avais pas conscience du ridicule au début.

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Commentaires

  • C'est marrant ce texte, là, maintenant. J'ai entrepris, pas plus tôt qu'hier soir, une conversation sur la difficulté d'intégrer une équipe de travail, de se lier de cette fausse amitié des gens du bureau et des faux-semblants. J'essayer de prouver le bien-fondé de l'attitude du "mépris caché" et du "je n'en pense pas moins mais je ne moufte pas pour avoir la paix" à une amie qui déprime dans son tout nouveau travail...


    Comme quoi, les grands esprits...

  • Oh, tu as changé ta photo, j'aime bien la nouvelle :)

  • Comme tu dis vrai... comme c'est bien vu, bien perçu !!!

  • j'ignorais que tu avais été secrétaire dans une entreprise d'entretien ! ah !! le bon vieux shnock de patron qui aurait dut faire flic et les collègues poussièreuses aux conversations minables ... Lorsque j'étais objecteur de conscience en 1995 : j'ai connu çà !! ton récit est à la fois drole et sarcastique !! bien vu en tout cas !!

  • Bien vu, cette facette du monde du travail, une autre un peu plus féroce chez moi ce soir.
    bises

  • Le domaine professionnel n'est pas simple, il ne faut jamais trop se dévoiler au travail. C'est mon avis.

  • @ twin : je pense qu'au travail il n'y pas vraiment d' amitié , mais sans doute tout le temps de la fausseté
    @ Joséphine : merci
    @ JP : j'ai été cette secrétaire , mais quand j' écris avec " je" , sur certaines notes il arrive parfois que ce ne soit pas mon histoire . De toute façon peu importe , moi je raconte juste des émotions...
    @ Framboise : courage `
    @ Loic : Même sans se dévoiler , regarde ...

  • Amitié impossible au travail ? Pas d'accord ! Deux de mes MEILLEURS amis peuvent en témoigner. Je parle là d'une amitié durable (onze ans déjà dans cette amitié à trois).

  • Post scriptum : pour donner une idée de l'intensité de cette amitié, nos femmes respectives nous surnomment "les 3 mousquetaires".

  • @ Pascal : chanceux alors :)

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