Le souvenir d’une journée s ‘enroulant autour du mot : « partez ». Rien qu’un mot collé, plaqué à cet espace temps. « partez » : tous les coureurs réunis aujourd’hui attendent et redoutent. Si tout se passe comme prévu dans quatre minutes exactement le mot fusera. Au moins quatre cent personnes s’agglutinent derrière ce mot matérialisé par la ligne D celle du départ. En attendant, je dois bien moi aussi traverser ces quatre minutes, enfin trois minutes 12 secondes à présent. Mon regard dessine un cercle autour de moi, et s’arrête sur cette femme. Une concurrente ? Sur sa poitrine est accroché en gros et sur papier le numéro 88. Un dossard porté devant. Trois épingles à nourrice attachent ce chiffre que j’aime infiniment. La femme se tortille, son impatience fait ressortir les muscles de ses cuisses. Je me dis que cette candidate très brune sans doute âgée d’une petite trentaine peut se permettre de porter un short minuscule et un débardeur l’étant tout autant. J’envie ce corps de toutes les façons. J’aimerais » tant « connaître l’effet que pourrait me faire d’habiter une chair d’athlète, ne serait-ce que deux minutes trente cinq secondes exactement. Numéro 88 trottine sur place, n’arrive pas à tenir en place. Moi j’ai les pieds comme enracinés dans l’asphalte : goudron ne brulant pas encore la plante de mes pieds, je continue de contempler cette femme. Derrière sa peau je devine des années d’entrainement, des fractionnés qui, sans doute, ont duré pour elle une éternité. Ça prend du temps parfois l’épuisement… Mon regard remonte jusqu’à son visage. J’éprouve le besoin de tirer un portrait de l’instant. Plus qu’une minute trente secondes il me semble. Je ne comprends pas vraiment pourquoi le besoin d’avoir une tête à me souvenir m’habite. Peut -être est ce à cause de ma solitude, de l’absence de mon compagnon. Pour certains courir ne représente qu’une perte de temps. Numéro 88 n’a de cesse de balancer en avant, en arrière, de droite à gauche. Je ne parviens pas à capter son regard. Il me reste à peine trente secondes pour que mes yeux arrivent enfin à la photographier. Le mouvement décidément la détend, l’aide à traverser le T.A.N.T. Il ne me reste donc plus qu’à chaparder au vol un peu de son énergie. PARTEZ. Le mot est lâché. Instinctivement je laisse filer numéro 88. J’ai déjà en tête le mot suivant, bientôt je lirai sur le goudron et sous mes pieds le mot : ARRIVÉE…